Post-larves et subtilités de l'élevage
Bonjour,
La lecture du matin m'inspire, et j'ai très envie de partager avec vous ce bel article de Ret Talbot. Il se trouve dans la Newsletter de l'édition américaine de Coral, et met en lumière une visite dans un élevage de poissons ornementaux nommé Sustainable Aquatics,dans le Tennessee.
Lire l'article ici:
http://www.coralmagazine-us.com/content/tank-raised-tangs-triggers-become-reality
Plusieurs problématiques m'ont interpellé, et donnent à réflechir.
Tout d'abord, la bonne nouvelle immédiate: enfin, certaines espèces de poissons jusqu'à présent considerées comme impossible à élever en captivité à cause des stades larvaires pélagiques qui les caractérisent sont élevées chez Sustainable Aquatics (SA). Des poissons emblématiques du hobby, tels que les Paracanhurus hepatus, les Zebrasoma flavescens et les Chelmon rostratus, capturés en très grand nombre par la filière traditionnelle toute l'année, mais aussi plusieurs espèces de poissons papillons, des Acreichthys tomentosus et des Balistoides conspicillum.
C'est évidemment très encourageant pour le hobby et les aquariophiles, du moins pour ceux qui se soucient suffisamment d'éthique et "d'industrie durable" pour essayer de leur mieux de faire de ce commerce une activité moins impactante sur les ressources et le milieu naturel, et de faire en sorte que la mortalité des animaux le long de la chaine commerciale soit la plus réduite possible.
Cette nouvelle est immédiatement modulée par une précision de taille: attention, nous parlons ici d'élévage de post larves et de très jeunes spécimens sauvages, pas de reproduction en aquarium. C'est toute la différence entre "Tank raised" (elevé en captivité) et "Tank bred" (né en captivité). La nouvelle de telles reproductions en aquarium n'est donc pas encore pour aujourd'hui, même si j'ai entendu parler à un moment donné de reproduction de Zebrasoma flavescens réussie, dans une université américaine.
Cependant, ne boudons pas la bonne nouvelle. Même si nous n'en sommes pas encore à la reproduction de A à Z d'espèces à stades pélagiques, il est tout de même très interessant de se lancer enfin dans la commercialisation des post larves, jusque là surtout capturées à des fins experimentales ou pour des structures profesionnelles. Les travaux du CRISP notamment en Polynésie française ont ouvert la voie, les conférences auxquelles j'avais assisté sur le sujet m'avait vraiment enthousiasmé, cela ouvre de telles perspectives!
Les impacts ecologiques sont nettement moindres, car les post larves sont capturées lors de leur retour du stade pelagique, au moment où elles viennent s'installer sur le récif pour mener leur vie de juvénile puis d'adulte. Cette phase est eminamment dangereuse pour la larves, où elle est exposée à tous les dangers des multiples predations, dans un environnement qu'elle ne connait pas encore. Un pourcentage très réduit de poissons survivront à cette phase, et deviendront des poissons adultes. C'est en cela que la capture des post larves est dans l'optique de developpement durable, elle capture des animaux promis en grande majorité à une mort certaine. En même temps, la pratique est suffisamment parginale pour ne pas impacter le stock de proies pour les poissons adultes etautres animaux qui se nourrissent de ces larves.
Les larves une fois capturées, sont transportées chez Sustainable Aquatics, où elles passent un temps variable selon leur developpement naturel, de 4 à 6 semaines pour certains gobies jusqu'à quasiment un an, pour les balistes clowns par exemple. Ce temps "d'élevage" à un coût, evidemment, qui se transmet sur le prix finaldu poisson: c'est pour cela que les poissons d'elevage sont plus chers que les sauvages, surtout pour les espèces ayant passé beaucoup de temps en grossissement. Mais l'aquariophile doit absolument avoir en perspective les nombreux benefices d'un tel achat: le poisson mange de suite du surgelé et des aliments secs, il est robuste et largement acclimaté à la présence humaine, il est exempt de maladies et de parasites... C'est un bénéfice incommensurable! Trop de gens cherchent à gagner quelques euros sur tout: en matière d'achat de poissons ornementaux, c'est une grossière erreur: vous risquez d'acheter trois fois votre poisson parce qu'il ne s'acclimatera pas et mourra, vous le racheterez... peut être même apportera t-il une maladie et contaminira t-il tout l'aquarium! Qu'aurez vous perdu, pour ne pas avoir voulu payer quelques euros de plus un poisson correctement acclimaté, ou encore mieux, un poisson elevé en captivité... Et je ne parle pas de respect de l'animal, d'éthique, de développement durable...
Deux choses m'ont un peu déplu dans l'article, cependant.
On y fait état de pêche de ces larves et juvéniles au filet, par les collecteurs locaux traditionnels (les pêches pour SA se font aux Iles Salomon). Le principe selon SA est de maintenir l'activité de ces collecteurs, qui doivent survivre à l'évolution des pratiques. Certes, mais pourquoi en ce cas ne pas leur enseigner la pêche technique des PCC, où les outils principaux sont des filet équipé d'un piège lumineux, ou des filets installés sur la crète récifale, pour capturer la nuit les larves qui migrent vers le récif? L'interêt de la pêche post-larve réside justement dans la capture de larves arrivant sur le récif, non pas des juvéniles ou des post larves déjà installées (et ayant une meilleure chance de survie). Donner des outils adéquats aux pêcheurs pour qu'ils capturent les proies les plus vulnérables semblerait une meilleure option. Cependant ceci doit evidemment avoir un coût enorme, entre l'achat de tels pièges sophistiqués, et l'apprentissage à transmettre aux collecteurs locaux. Ce serait pourtant la voie transmise par la PCC scientifique.
La seconde chose que je n'ai pas aimé est le fait que SA continue d'importer des clowns sauvages, pour, selonl'article, soutenir l'économie du pays source, pour lequel cette espèce notamment est un socle de revenu. Certes. Mais en payant mieux les post larves, en pratiquant de nouvelles pêches à pus haute valeur commerciale, on pourrait contrebalancer le "manque à gagner" de l'arrêt de l'exportation de clowns sauvages. Il est vraiment un non sens total, pour une entreprise d'elevage et de reproduction, qui produit de nombreux clowns d'elevage, de continuer de soutenir cette capture des clowns sauvages. Les clowns sauvages devraient tout simplement cesser d'être commercialisés, puisque leur reproduction est si largement maitrisée. Toute espèce dont le nombre de spécimens d'élevage est fourni en grand nombre devrait être bannie du commerce du "sauvage". C'est peut être naif et idéaliste de réclamer cela, mais c'est vraiment quelques chose que je ne comprends pas, qu'on continue le commerce des ocellaris, des clarkii, des frenatus...
En tous cas, ces articles montrent le chemin parcouru, et ce qu'il reste à parcourir, pour que l'aquariophile puisse un jour se targuer d'être un consommateur responsable. Nous sommes tous "coupables", mais il faut essayer de faire de son mieux pour choisir les voies les plus responsables possibles pour assouvir notre passion. Tout cela résonne enormément en moi, et je ne peux m'empêcher de penser à notre association SAIA (www.saia-online.eu), avec laquelle nous essayons, avec nos tout petits moyens, de rajouter une brique "au monde meilleur" que nous souhaitons pour l'aquariophilie.
J'attends vos commentaires et votre sentiment sur tout cela!
amicalement,
Sabine